Le Sion Festival Voix Violon sera terminé au moment où vous lirez ces lignes.
Les grands pontes du violon y furent présents, Gidon Kremer en ouverture par exemple, et ce vendredi, Janine Jansen, accompagnée au piano par Alexander Gavryluyuk (j’ai fait gaffe Caplan, je crois que j’ai orthographié juste), et Torleif Thedéen au violoncelle.
C’est à ce concert que nous avons eu le privilège d’assister.
Tout d’abord, le contexte…
Ville de Sion, un peu décentrée, La Ferme-Asile.
Un bel endroit, un super bistrot chaleureux qui nous sert un tartare comme je n’en ai jamais mangé, à part, peut-être, à Lyon, chez Georges Blanc.
Et puis une salle montée pour l’occasion du festival, je pense, dans la halle d’exposition.
Il y a plus cosy, mais le son y est, en tout cas au tout premier rang, que j’avais eu la chance de pouvoir choisir.
Meilleure place, impossible, je crois.
La musique russe, cela fait pas mal de temps que je l’écoute à travers Shostakovich, comme vous avez pu le lire dans cet article, Tchaikowski, ou encore Rachmaninov.
En matière de violence des sentiments, on peut toujours régater… Ces compositeurs sont incroyables.
Le programme de la soirée?
Dimtri Shostakovich, Trio avec piano no 1 en do mineur, opus 8
Une œuvre de jeunesse, écrite en 1923, alors que le compositeur était encore enthousiaste suite à la révolution de 1918, et tout amoureux. Il reniera ensuite cette musique, devenu critique par rapport au régime soviétique. Il n’empêche qu’il s’agit d’une œuvre magnifique, à la fois mélodique et moderne.
Sergueï Prokofiev, Sonate pour violon et piano no 2 en ré majeur, opus 94.
Prokofiev a écrit cette sonate en 1942, dans des temps évidemment tourmentés, pour David Oistrakh extraordinaire violoniste de l’époque. Ce qui explique certainement la difficulté technique époustouflante de cette œuvre pleine d’explosions musicales surprenantes, dans lesquelles les interprètes peuvent s’éclater dès qu’ils dépassent les difficultés imposées.
Sergueï Rachmaninov, Trio élégiaque No 2 en ré mineur
Le Grand Robert définit ainsi «?élégiaque?» Par extension: morceau composé sur le mode mineur (pour exprimer la tristesse).
Rachmaninov, au moment d’écrire cette œuvre, en 1893, était détruit par la mort de Tchaïkowsky (mort semble-t-il dramatique et quelque peu forcée, soit dit en passant) à qui il la dédie. Comme l’explique le programme, la tonalité en ré mineur est celle du deuil (en quelle tonalité le Requiem de Mozart est-il écrit selon vous?).
Encore faut-il des interprètes à même de pouvoir nous les faire passer, ces émotions!
Et nous les avions en face de nous, ces interprètes, vendredi soir.
Et comment! C’était extraordinaire.
Janine Jansen, l’expressivité au sommet
Janine Jansen et son violon, c’est un tout, l’un étant prolongement de l’autre et inversement.
Chaque note de son instrument vient du fond du corps, est l’émanation d’un mouvement qui est visible partout en elle, dans son regard, son visage, sa posture, sa manière de bouger de la tête au pied.
Rien qu’en cela, Janine Jansen est un spectacle magnifique.
Photo Claude Dussez, vous pouvez voir toutes ses photos magnifiques prises en répétition ici
Capable de se recroqueviller, de rebondir sur sa chaise, quand elle est assise, dans les trios, comme un ressort, de montrer la peur, la surprise, toutes les émotions à travers son visage.
Dans le duo où l’artiste hollandaise est debout, elle est physiquement sublime, gracieuse, puissante.
Et bien sûr, il y a cette technique dont on n’a même pas envie de parler, tellement elle est chez elle évidente et totalement intégrée, au service de ce son, de cette musicalité, de cette puissance, de ces nuances, capable de sortir les tripes de son Baron Gutmann d’Antonio Stradivari, de 1707.
Cette femme est tout simplement exceptionnelle, certainement la meilleure violoniste de notre époque, ou tout au moins l’une des plus grandes.
Mais pour moi, oui, c’est tout simplement la meilleure.
Le concerto pour violon de Tchaïkowsky en ré majeur, splendide
Et puis, je suis merveilleusement content d’être dans un concert classique et de ne pas pouvoir prendre de photos, mais frustré un peu aussi. Vous pouvez en effet prendre mille photos de Janine Jansen dans un concert, elles seront toutes magnifiques et différentes les unes des autres.
D’ailleurs, la preuve, ces photos en noir et blanc (qu’est-ce qu’elles sont bien développées!) qui illustrent cet article, signées Claude Dussez sont splendides.
Torleif Thedéen, que c’est beau, le violoncelle
Torleif Thedéen est un violoncelliste suédois né en 1962.
Photo Claude Dussez, vous pouvez voir toutes ses photos magnifiques prises en répétition ici
Lui est moins expressif physiquement, mais fait preuve d’une sublime musicalité, s’accordant magnifiquement avec celle de Janine Jansen.
Enfin, quand je dis moins expressif physiquement, c’est sans parler de son expression dans la respiration qui peut être puissante, presque trop parfois, quand on est au premier rang. On l’entend respirer avec son violoncelle, selon ce qu’il va vouloir exprimer comme sentiment avec lui.
Sa manière à lui de faire corps avec le violoncelle, cet instrument d’une chaleur dans ses mains, est tout simplement bouleversante.
Avec Janine Jansen, à Verbier… c’est presque du Jazz! Au fait, ils étaient les deux exactement dans la même tenue vendredi soir.
Alexander Gavryluyuk, le piano dans la peau
Photo Claude Dussez, vous pouvez voir toutes ses photos magnifiques prises en répétition ici
Je reprends ce titre d’un article du journal le Temps qui lui était consacré, tant il convient à ce musicien incroyable qu’est Alexander Gavryluyuk, pianiste ukrainien naturalisé australien.
Quand on le voit jouer, on dirait un être habité, sorte de petit lutin venu d’ailleurs, à la fois malicieux et enfantin. La photo ci-dessus est d’ailleurs un résumé de cette description.
Ici, il joue Chopin, exceptionnel…
Mais mon dieu, quel son, quel toucher, quelle précision, quelle musicalité lui aussi.
C’est juste impressionnant.
Le piano émotionnel, à l’ukrainienne, et c’est splendide.
Trois musiciens exceptionnels unis pour la musique
Trois musiciens aussi magnifiques pourraient faire craindre que chacun veuille tirer la couverture vers lui.
Il n’en est bien sûr rien, c’est d’ailleurs presque toujours comme cela en musique classique entre solistes.
Chacun était en symbiose avec l’autre, allant vers un tout entièrement dévoué aux compositeurs interprétés, avec toutes les nuances, la fougue, la joie et la tristesse que nous avons pu absorber dans nos propres corps, grâce à leur intelligence et leur musicalité.
Quelle magnifique soirée nous avons passée là.
Merci Madame.
Merci Messieurs.