Vous le savez si vous suivez ce blog depuis un certain temps, je lis énormément de bandes dessinées.
La série dont je vais vous parler ici peut vous sembler un peu légère et enfantine puisqu’il s’agit de Spirou.
Oui, mais pas n’importe quel Spirou puisque nous avons 3 séries autour de ce héros:
- la série créée par Rob-Vel en 1938 puis reprise par Franquin dix ans plus tard, qui continue aujourd’hui avec des auteurs différents, mais toujours dans le même milieu;
- le petit Spirou (que je ne connais pas bien);
- les Spirou de… qui sont des albums ou des séries “carte blanche à un auteur”.
Les albums dont je vous parle aujourd’hui sont ceux qui touchent cette dernière série, le Spirou d’Émile Bravo.
Je vais laisser les éditions Dupuis la présenter.
Enfant, Émile Bravo dévorait Les aventures de Spirou et Fantasio de Franquin, tout en se posant de nombreuses questions : « Pourquoi Spirou porte-t-il toujours un uniforme de groom sans jamais en exercer le métier? », « A-t-il été amoureux ? », « A-t-il une conscience politique? », D’où vient son amitié indéfectible avec Fantasio? », etc.
En grandissant, Emile découvre que Spirou a été créé par Rob-Vel en 1938 et n’a été repris par Franquin qu’une dizaine d’années plus tard. Or les albums de Spirou et Fantasio édités chez Dupuis ne commencent qu’avec les aventures réalisées par Franquin ! Pourquoi cette décennie, quasi inconnue du grand public, a-t-elle été occultée? En même temps, pendant ces années, Spirou qui était à l’origine un simple groom (c’est-à-dire un larbin qui ouvre les portes aux clients d’un hôtel !) est devenu un aventurier intrépide qui court le monde.
Or, durant cette période, il s’est tout de même passé un événement majeur qui a traumatisé l’Humanité toute entière: la Seconde Guerre mondiale. Dans quelle mesure ce traumatisme a touché ce gamin bruxellois (aux premières loges, donc, pour assister au début du conflit) et l’a fait évoluer pour devenir le héros que nous connaissons tous? C’est pour répondre à toutes ces questions et percer ces mystères qu’Emile Bravo a voulu raconter son Spirou. Il en a fait une œuvre passionnante, bouleversante et drôle à travers deux cycles: «Le journal d’un ingénu» (un titre) qui raconte comment Spirou a failli sauver la paix et comment Fantasio a déclenché la guerre et «L’espoir malgré tout » (quatre titres dont le premier paraît le 5 octobre 2018) dans lequel on découvre comment Spirou tente de continuer à vivre selon ses valeurs après l’entrée en guerre tandis que Fantasio cherche à tout prix à se couvrir de gloire.
Editions Dupuis
Dans le premier album, nous découvrons donc Spirou dans un orphelinat catholique et qui est placé par un prêtre dans un hôtel bruxellois: c’est l’explication de son métier de groom dont il gardera l’uniforme tout au long de la série principale.
Vous trouverez également dans cet album l’origine du nom de ce héros qui a bercé une bonne partie de notre vie.
Dans cet hôtel, Spirou fait la connaissance de Fantasio et tombe éperdument amoureux d’une jeune Polonaise communiste, Kassandra qui est emprisonnée, on ne sait pas trop où, mais on imagine qu’il s’agit certainement d’un camp de concentration.
Il voit également comment la Pologne est entrée en guerre avec l’Allemagne, puisque c’est dans cet hôtel que se déroulent les tractations pour éviter le pire entre représentants allemands et polonais.
Tout au long de ces quatre albums (vivement la suite!), Emile Bravo nous montre comment la guerre devient le quotidien du monde occidental à travers ce qu’il entend ou lit, mais surtout comme elle le devient en Belgique, petit à petit, avec, comme partout, la collaboration d’une partie de la population subjuguée par “l’ordre” allemand et l’antisémitisme rampant.
Ce qui est extraordinaire, c’est qu’on y voit aussi des gens qui résistent, d’autres qui hésitent, il nous montre la vie, à nous de choisir de quel côté nous pensons que nous aurions été, toujours avec un dessin un peu ingénu, aux couleurs douces.
Avec, aux détours de quelques cases, des formes noires des bottes, des uniformes ou des tanks allemands, des détails pour nous évoquer l’oppresseur nazi.
Tout est raconté avec une grande douceur qui est d’autant plus puissante qu’elle peut nous mettre en colère face à des actes parfois immondes simplement montrés là, Emile Bravo nous laissant le soin de juger.
La guerre est racontée de manière presque pédagogique, avec des réflexions d’une grande intelligence formulées par Anselme, un paysan qui recueille Spirou et des partisans quand ils sont en danger.
Ces 4 albums sont splendides d’intelligence tant au niveau du scénario qu’à celui du dessin.
Une des meilleures BD que j’ai eu l’occasion de lire dans ma vie.
Un chef-d’œuvre, oui.