Je l’ai écrit ici il y a un déjà, depuis octobre 2019, soit bien avant le début de la pandémie, je me suis mis à faire mon pain moi-même, avec du levain, de l’eau, de la farine bio achetée à quelques kilomètres de chez moi et quelques grammes de sel.
La seule chose qui a changé, c’est que la souche de ce levain que j’avais donc achetée en octobre 2019 et que j’avais gardée et fait grandir quelques mois, je l’ai lâchement abandonnée pour développer le 26 avril 2020 mon nouveau levain personnel, à base de seigle bio et que j’ai appelé du doux nom de Pandemia.
Oui, tous les levains chefs ont un nom, le mien, il n’y a pas de raison qu’il n’en ait pas, et comme nous étions dans une drôle de période, à moitié confinés en Suisse, j’ai décidé de lui donner celui-là.
Depuis, je le nourris très régulièrement, toutes les 36 heures environ, et j’en fais la base de mon pain 4 à 6 heures après son repas, quand il est tout bien vigousse.
Pour qu’il soit à l’aise et qu’il n’ait pas trop chaud, ces temps, je le descends à la cave qui est tempérée à 18 degrés.
Pour votre information, il y a plusieurs écoles de bocaux et surtout de fermeture de ces derniers.
Je suis adepte de la fermeture étanche, avec un caoutchouc entre le couvercle et le bocal lui-même.
Cela étant dit, faire du pain au levain et sans levure (interdit de tricher, non mais!), trois fois par semaine demande une certaine organisation.
Impossible de se dire que dans deux ou trois heures, je veux mon pain, je m’y mets.
Non… Il faut, comme je l’ai dit, avoir fait en sorte que son levain ait quelques heures, mais pas trop (entre un peu plus de 4 et 10, voire un peu plus, si la température est en dessous de 18 degrés), et prévoir entre 8 et 24 heures, selon les farines et les températures, pour que la fermentation lente soit prête.
Quand on bosse à 100%, c’est tout une réflexion à avoir au quotidien.
Cela étant, depuis octobre 2019, je n’ai plus jamais acheté un pain à la boulangerie, dans une grande surface, ou pire dans une station-service.
Certes, j’ai acheté ici ou là un sandwich tout fait, mais jamais plus du pain.
Ce qui a changé désormais
Ce qui a changé, c’est que mon pain est à chaque fois différent puisque j’utilise des mélanges de farines que j’assemble à l’instinct du jour, rarement avec les mêmes proportions, parfois avec des ajouts de graines (toujours bio bien sûr), de noix, de figues qui le sont tout autant (bio donc).
Les cuissons par contre sont toujours pareilles: pour un tout petit peu moins d’un kilo de pâte, je pose le pâton sur une pierre à pain dans le four préchauffé à 250° haut-bas, sans air chaud, je vaporise le four avec de l’eau et je ferme en baissant immédiatement la température à 230° pour 30 minutes.
Ensuite, je baisse la température à 210 degrés pour encore 10 minutes de cuisson.
Là, je sors mon pain et le dépose sur une grille pour qu’il refroidisse au minimum une heure. Il ne faut en effet jamais couper le pain avant, même si c’est tentant, puisqu’il poursuit sa cuisson en refroidissant gentiment.
Mais surtout, ce qui a changé, c’est qu’en faisant mon pain moi-même, je me suis rendu compte, un peu tard, je l’admets, que je lui devais du respect.
Jusqu’en octobre 2019, nous achetions du pain en magasin, et un ou deux jours après, nous en achetions un autre. J’expliquais alors que nous pouvions tout de même nous permettre de ne pas finir le pain et de profiter du tout nouveau tout frais, quitte à mettre le vieux dans le sac que nous donnions aux chevaux en le déposant dans une caisse du village.
Je n’avais jamais de respect pour ce pain acheté qui, si souvent, même déjà le lendemain, n’avait plus de goût, était dur ou tout mou.
Certes, les pains des boulangers artisanaux sont tout à fait mangeables, même deux jours après, mais souvent, comme je l’ai dit, je préférais entamer le nouveau avant de finir l’ancien.
Depuis que je fais du pain, depuis que je vois mon paysan moudre la farine avec son moulin dit Astrié (du nom des deux frères qui l’ont inventé) à meule de pierre, depuis que je vois le temps que cela prend de confectionner avec amour cette matière magnifique qu’est la pâte, depuis que je constate plusieurs fois par semaine la magie de la fermentation, tant du levain que du pâton, je ne jette plus mon pain.
Pour tout dire, je pense que si, en bientôt trois ans, j’ai donné aux chevaux 1 kg de pain sec, c’est un maximum.
Peut-être d’abord par respect pour lui, quelque part pour moi aussi d’ailleurs, mais aussi parce que le pain artisanal maison, eh bien il est encore rudement bon, même trois jours après, même s’il a un peu séché.
Je me souviens d’un film ou Nicolas Supiot, dont je vous ai parlé ici, nous explique que selon lui, son pain prend de l’ampleur au fil du temps, et que c’est au bout de trois semaines qu’il atteint son paroxysme au niveau du goût.
Bon… il faudra avoir des bonnes dents alors, mais il n’a pas tort: le pain prend du goût en vieillissant.
Attention! Pas n’importe quel pain hein, mais le pain au levain, avec une fermentation lente.
Parce que vous avez déjà goûté une baguette vendue dans une station essence le lendemain de sa vente?
Le néant.
Alors voilà, quand nous savons que nous vivons dans un monde qui jette toujours autant de tonnes de nourriture quotidiennement, ça rassure de se dire qu’on peut, au moins dans un domaine, faire un tout petit quelque chose pour moins gaspiller, tout en ayant toujours autant de plaisir, sans faire le moindre sacrifice, juste en prenant le temps.