J’ai bien conscience d’être un peu provocateur, en fin du présent article, mais bon, je suis un tout petit peu chez moi, là, et après tout, ça me fait un peu plaisir de l’être (provocateur, donc, chez moi aussi, remarquez), il faut que ça sorte.
Nous avons eu la chance de voir deux concerts du Festival de violon de Sion, cette année, dans ce magnifique endroit qu’est la Ferme Asile.
Le samedi soir 2 septembre, nous avons assisté à la deuxième soirée de la finale du Concours Tibor Varga 2023 remportée par une jeune Coréenne du Sud, Seohyun Kim, âgée de 14 ans.
Elle jouait l’entier de mon œuvre préférée, le Concerto en Ré Majeur de Brahms.
Je pense avoir entendu ce concerto interprété par au moins une quinzaine de solistes, et connaissant donc bien l’œuvre, Seohyun Kim était loin de cette image de petits enfants prodiges comme on en a vu beaucoup, à l’époque, en provenance d’Asie, enfants prodiges qui étaient bons techniquement, certes, mais qui interprétaient un peu comme des machines.
Cette époque est terminée, les jeunes interprètes en provenance d’Asie qui percent en Europe sont tout aussi bons en interprétation qu’en technique de leur instrument.
Seohyun Kim (qui a également obtenu le Prix du Jury des Jeunes) était tout en nuances, se fondant parfois dans l’orchestre pour en sortir juste quand il fallait.
Le deuxième du concours est le Suisse Raphael Nussbaumer qui, lui, a remporté à la fois le Prix du Public et le Prix du Jury « des plus de vingt ans » en interprétant avec passion le Concerto en Ré Majeur opus 35 de Tchaikovski.
Nous avons participé à son prix du public puisque nous avons voté pour lui.
Le premier à passer en audition avec lui aussi une magnifique interprétation du même Concerto en Ré Majeur opus 35 de Tchaïkovski en était l’excellent (lui aussi) japonais Rennosuke Fukuda, 23 ans.
Eh oui, nous avons eu droit deux fois à l’écoute attentive et émerveillée de l’entier de ce fantastique concerto qui vous tire les larmes plus souvent qu’à son tour.
Les trois solistes étaient accompagné·e·s par l’Orchestre de chambre de Lituanie sous la direction de Sergej Krylov, lui-même violoniste réputé.
Le dimanche à 17 heures, c’était le concert de clôture qui nous proposait trois œuvres magnifiques:
- J. Turina, Scène Andalouse, pour alto, piano, et quatuor à cordes, Op. 7
- M. Ravel, Trio avec piano en la mineur, M. 67
- E. Chausson, Concert pour piano, violon et quatuor à cordes en ré majeur, Op. 21
Pour interpréter ces œuvres, la merveilleuse Janine Jansen qui va désormais reprendre la codirection artistique du festival et dont je vous ai souvent parlé ici avait réuni ses amis, tous au sommet de leur art.
Timothy Ridout nous a rappelé, si besoin était, la puissance et les tonalités merveilleuses de l’alto (écoutez son splendide concerto pour alto d’Elgar en mi mineur) l’œuvre de Turina datée de 1912.
Une superbe pièce que j’aimerais bien qu’il enregistre un jour, je ne l’ai trouvée qu’ici, enregistrée en 1994 au Festival Menuhin, par Paul Coletti, pièce où l’on retrouve toute la fougue et le romantisme de l’Andalousie.
Et puis, le Trio de Ravel, sublime avec son côté aérien, ses passages en harmoniques en double voire triples cordes que je ne sais même pas comment c’est possible de les jouer, mais bon, n’est pas Janine Jansen qui veut, que voulez-vous.
Le Concerto pour piano, violon et quatuor à cordes en ré majeur, Op. 21 d’Ernest Chausson, écrit entre 1889 et 1991 était bouleversant et va me pousser à écouter d’autres œuvres de ce compositeur que je ne connaissais pas vraiment, tellement il était prenant.
Un petit mot à propos de l’excellent Denis Kazhukhin, pianiste du concert, qui termine ce concerto de Chausson pratiquement debout devant son piano.
Et une petite question, juste comme ça, à propos des codes des concerts de musique classique
La jeunesse est là du côté des interprètes, c’est l’évidence, de ce côté-là, je ne me fais pas de souci.
Mais pour le public, c’est une autre histoire.
Tant au Festival de Verbier qu’à celui de Sion, les têtes bien grises constituent l’immense majorité du public.
Des enfants? Pratiquement aucun.
Des ados, et des gens de moins de 40 ans? Ils sont peu nombreux à tel point que ça en est un tantinet inquiétant.
J’ai tout de même ma toute petite idée à ce propos.
Certes, je n’aimerais pas qu’on en vienne à parler pendant les concerts, ou qu’on fasse la fête pendant un opéra, comme le montrait Formann dans Amadeus, ou qu’on commence à filmer les artistes avec son portable.
Mais certains codes sont peut-être obsolètes.
Par exemple, il est strictement interdit d’applaudir entre deux mouvements d’un concerto, à moins de passer pour un gros plouc.
Dimanche à la fin de la première pièce du Trio de Ravel, grand silence, comme toujours, normal quoi. Et au bout de 10 secondes de ce silence, quelqu’un applaudit, seul, en toute connaissance de cause.
Je n’ai pas eu le courage de suivre, et Mme K m’a murmuré, c’est nul de ne pas applaudir aussi, ça fait tellement envie!
Quand je pense aux solos en Jazz qui sont applaudis par le public, aux anges, je me dis que nous sommes tout de même de sacrés coincés du cul, nous, le public des concerts classiques.
Peut-être faudrait-il aussi arrêter de jouer toujours tout en noir dans l’orchestre.
J’en ai vu, des répétitions avec ces gens habillés comme ils le sentent, en tout sauf en noir, ou alors parce que ça leur plaisait, pas parce que c’était un code.
Vous savez quoi? C’est hyper sympa, ça n’enlève rien au plaisir, voire au recueillement.
Trop de solennité tue peut-être la musique classique.
Bref, il ne faut peut-être pas s’étonner de nous retrouver pratiquement qu’entre vieux dans les concerts classiques.