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Jean-Marc Jancovici: la mauvaise solution à un bon questionnement

L’autre jour, alors que je me rendais à l’école, le matin sur la RTS, je suis tombé sur l’interview de l’invité de la Matinale, interrogé par un journaliste que j’aime beaucoup, David Berger.

Il s’agissait de Jean-Marc Jancovici, venu parler des problèmes de réchauffement climatique.

J’ai beaucoup apprécié la plus grande partie de l’interview, M. Jancovici dressant le constat que nous connaissons maintenant tous et que seuls quelques cinglés réfutent (oui, je sais, je ne suis pas toujours nuancé dans mes prises de position): le climat se réchauffe de manière accélérée et la cause en est l’activité humaine.

C’était très intéressant.

Par exemple, lorsque le journaliste lui dit, un peu provocateur, qu’il pouvait maintenant s’acheter un SUV électrique en ne culpabilisant plus, Jancovici lui répond « surtout pas! si vous achetez une voiture parce que vous ne pouvez pas faire autrement, achetez une petite voiture électrique, pas une grande! ».

J’ai d’ailleurs relevé dans plusieurs articles ici le fait que je ne comprenais pas pourquoi les voitures électriques étaient actuellement bardées de centaines de chevaux et que beaucoup étaient énormes, j’étais plutôt content de voir que quelqu’un relevait la chose également, me sentant un peu seul dans mon coin à penser de la sorte. Peut-être n’avais-je pas compris quelque chose: eh bien non, Jancovici estime lui aussi que cette débauche de poids, de chevaux et de matières était un non-sens quand on voulait partir dans le durable.

La fin de l’interview par contre a tourné vers le… non, je vous en parle plus bas, sinon je déflore déjà tout et vous n’aurez pas envie de lire la suite.

Je me suis rappelé alors avoir acheté la BD signée Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici, dans laquelle le premier joue le candide auquel le second apporte son immense savoir.

J’exagère un peu sur ce point, mais disons que Blain et pour le moins admiratif de Jancovici.

Un monde sans fin, Blain et Jancovici, page 8 sur 199.

Nous ne sommes en fait pas dans une vraie BD, mais dans une sorte d’interview de Jancovici par Blain qui illustre ses propos avec pas mal d’humour et les deux vulgarisent plutôt bien la complication de la situation climatique.

Comme dans l’interview que j’avais entendue le matin à la radio, la problématique est bien posée.

En gros, je résume, nous allons dans le mur en matière énergétique, et ceci au vu des besoins que l’humain s’est créé, tout cela avec des graphiques lisibles, des recours à l’histoire, bref, la situation actuelle est parfaitement mise en place.

Tout cela est très bien.

Le problème, c’est qu’arrive la page 128 et le chapitre intitulé “les énergies décarbonées”.

Et de cette page, jusqu’à 159, c’est l’éloge du magnifique nucléaire, qui n’a aucun défaut pour Jancovici.

Les déchets? Bagatelle, on les enfouit assez profond pour qu’on ne risque rien.

Les accidents? Pas plus graves que l’alcoolisme.

Tchernobyl?

Allez, 30 morts, 6’000 enfants avec un cancer de la thyroïde qui se soigne très bien.

J’ai mieux, regardez:

Non, mais il faut oser tout de même! Le nucléaire est désormais bon pour la biodiversité, en particulier s’il pète!

Donc allez, tant qu’à faire, faisons-en sauter quelques-unes, ce sera bon pour la planète…

Les grosses et les énormes s’ajoutent tout au long des trente pages bien denses, où l’on apprend que si l’on a abandonné le nucléaire, c’est à cause des lobbys écologistes qui font plier (bouuuuuh, les méchants) les gouvernements!

C’est bien connu: les écolos sont pleins de fric! Ça fait 40 ans qu’ils hurlent à la catastrophe, avec raison, et personne ne les a écoutés. Vous parlez de lobbys efficaces!

Mais c’est à hurler de rire!

Il se trouve qu’en matière de lobby, Jancovici n’est pas mal placé puisqu’il conseille le gouvernement français au sein du Haut Conseil pour le Climat auprès du Premier ministre.

Étonnez-vous que Macron pousse à tel point le nucléaire français qui d’ailleurs n’est pas dans son meilleur état, semble-t-il, et ce depuis quelques années.

À ce sujet, cet excellent article de 24 heures du lundi 17 octobre est édifiant!

24 heures du lundi 17 octobre 2022

Pour en revenir à la bande dessinée dont je parlais avant de digresser (mais pas tant que ça), après les 30 pages à la véritable gloire du nucléaire, suit une dégommée des énergies renouvelables, et même, et c’est un comble, du mix de ces dernières avec le nucléaire.

Non, mais vous vous rendez compte? Selon lui, il faudrait donc tout miser sur le nucléaire! C’est complètement dément!

Ce nucléaire si peu dangereux quand on le compare aux morts dus à l’alcool, aux accidents de voitures, à l’excès de sucre, voyez-vous…

Si peu dangereux… en France, parce que les autres, bien sûr, ont mal fait les choses, autant les Russes à Tchernobyl que les Japonais à Fukushima, alors que dans l’Hexagone, tout est prévu pour que rien n’arrive, mais enfin, c’est évident.

Et si Jancovici site bien l’UNSCEAR pour dédramatiser les retombées de Fukushima, je vous propose de lire cette étude de Greenpeace qui montre, avec moult recherches à l’appui, que les choses sont bien plus compliquées, même au Japon, que ce que ce Monsieur expédie en 3 lignes.

Les dernières pages de l’ouvrage sont heureusement dédiées à ce que l’on peut faire pour diminuer notre empreinte carbone sur la planète, à notre petit niveau ou à celui des villes, des pays.

Mais c’est toujours avec le nucléaire comme parachute ventral, comme l’imagent les auteurs.

Oui, je sors de ce livre avec l’impression que les constats faits sur l’état de la planète sont justes, mais qu’ils ne sont présentés que pour faire l’éloge du nucléaire, si peu dangereux et si efficace et pour ridiculiser les énergies renouvelables.

Ce bouquin a paru en 2021.

On pourrait imaginer qu’après ce qu’a fait Poutine depuis février 2022, ses menaces sur des objectifs européens à courte, moyenne et longue distance en matière de nucléaire, la catastrophe pour l’instant évitée de justesse de la centrale nucléaire de Zaporijjia dont le président russe n’a visiblement rien à faire, au risque de faire courir au monde une catastrophe majeure, Jancovici puisse revoir sa position sur la sécurité des centrales, parce que voyez-vous, il semblerait qu’elles ne soient pas prévues, même en France, pour résister à l’attaque d’un missile russe ou venu d’ailleurs.

Suite aux déboires récents des réacteurs français en matière de corrosion, par exemple, peut-être allait-il se poser tout de même quelques questions sur la fiabilité sans faille du nucléaire dans ce pays.

Parce que le Monsieur est au courant tout de même, il lit l’actualité, j’imagine.

Pensez-vous! Dans l’émission de la RTS dont je parlais en début du présent article, ce même Jancovici remettait la compresse et comparait à nouveau le nucléaire avec les autres maux de l’humanité, en minimisant totalement ses risques.

Je suis pour le moins mal à l’aise à la lecture de ce livre, à l’écoute de cette émission.

Pour l’instant, Jancovici est vu comme un gourou par tout un pan des pro-nucléaires.

Cela ne m’étonne pas, mais je me demande comment, même lorsqu’on est pro-nucléaire, on peut soi-même ne pas être gêné par la mauvaise foi de ce Monsieur, mauvaise foi tellement crasse qu’il ne m’étonnerait pas qu’on déterre, un jour ou l’autre, quelque chose de pas net à son propos.

Parce que sinon (et j’espère bien qu’il y a un sinon), vraiment, je ne comprends pas.

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